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Comprendre les violences xénophobes en Afrique du Sud

Si Mandela est tant célébré dans l'espace occidental, ce n'est pas que pour sa résilience face à la tentation de vendetta, encore moins pour sa qualité de tombeur de l'apartheid. Durant les négociations d'ouverture démocratique, les échanges ont achoppé sur deux visions opposées du changement structurel devant constituer le fondement de l'Afrique du Sud nouvelle, dite nation arc-en-ciel. Frederik De Klerk et le camp Afrikaner ( blanc) défendait le statu quo économique, selon lequel il fallait se limiter au démantèlement du système politique de l'apartheid et épargner le système économique qu'il avait favorisé, au risque de fragiliser les assises de l'économie nationale. Nelson Mandela et l'ANC défendait plutôt une rectification des disparités socioéconomiques créées par les décennies d'exclusion des Noirs de la propriété économique.

Finalement, pour débloquer les négociations embourbées sur ce désaccord fondamental, Mandela et l'ANC se sont pliés à la proposition des Afrikaners, en échange de mesures d'accompagnements. À savoir :

1- Que l'État sud-africain et le système bancaire devraient suivre conjointement une politique de facilitation de l'accession des entrepreneurs Noirs à la propriété économique

2- Que les diplômés Noirs devraient bénéficier d'un quota généreux de représentativité dans les emplois et positions de pouvoir

3- Que des logements sociaux devraient être construits pour les populations défavorisées des townships.

LA MISE EN OEUVRE DES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT DU STATU QUO CONCÉDÉ PAR MANDELA

Aujourd'hui toutes ces mesures ont effectivement été appliquées mais pour quel résultat ?
En plus des logements sociaux construits dans la majorité des townships, pour viabiliser et moderniser le cadre de vie, dès 1994 l'État sud-africain a lancé la politique dite du BLACK ECONOMIC EMPOWERMENT. Il s'agit d'un ensemble de chartes sectorielles dites de discrimination positive, qui prône la promotion des investisseurs Noirs. Par exemple, la charte du secteur minier, le domaine le plus lucratif du pays, prévoyait que 23% des actifs miniers devraient être détenus par des actionnaires Noirs avant 2013. La montée fulgurante des entrepreneurs Noirs comme Tokyo Sexwall, le président de la puissante compagnie Mvalaphanda s'explique par ces privilèges aménagés dans le cadre de cette politique volontariste de discrimination positive. Il en est de même de la compagnie de téléphonie MTN fondée en 1994 à la faveur de cette politique d'accompagnement du statu quo économique.

UNE PROFONDE FRUSTRATION SOCIALE HÉRITÉE DU STATU QUO DE GROOTE SCHUUR.

Mais ces mesures d'assouplissement des disparités ont profité à tous, sauf aux couches de basse extraction sociale que sont les habitants des Townships et des faubourgs ouvriers, qui sont restés les laissés-pour-compte des accords de Groote Schuur. Le système du statu quo économique fait que face à la misère croissante de ces petites gens se dresse ou a émergé trois groupes d'intérêt :
- Il y a en tête les sud-africains blancs, représentant 8,7 % de la population, et qui détiennent 85% des richesses nationales.
- Sur la marge des 15% de la manne nationale à grappiller, une proportion estimée à 13% est accaparée par la classe moyenne des sud-africains Noirs ou indiens, qui a émergé à la faveur du BLACK ECONOMIC EMPOWERMENT, et qui est composée des cadres affairistes de l'ANC auxquels s'ajoutent les entrepreneurs parrainés par ces derniers.
- Et les 2% restant sont disputés aux sud-africains défavorisés par un troisième groupe d'intérêt constitué par les immigrés noirs originaires du Zimbabwe, du Nigeria, du Mozambique ou de la RDC. Et c'est de cette dispute des miettes économiques que part les émeutes xénophobes qui sont observées en ce moment en Afrique du sud

AVANT DE S'EN PRENDRE AUX ÉTRANGERS, LES SUD-AFRICAINS NOIRS DÉFAVORISÉS S'ÉTAIENT ATTAQUÉS À LEURS CONCITOYENS DES CLASSES AISÉES

Les oubliés des accords de Groote Schuur signés par Nelson Mandela ont commencé d'abord à s'en prendre à la population blanche des quartiers cossus à travers une criminalité record, alimentée par des bandes armées formées par les jeunes des Townships. Ils ciblent durant la décennie 1995-2005 la communauté blanche et ses zones résidentielles. On les a qualifié "d'entrepreneurs du crime". Résultat, une partie de cette population blanche a choisi de s'expatrier et gérer ses rentes viagères depuis Londres ou New-York. L'autre partie restée en Afrique du sud vit barricadée dans des résidences et quartiers placés sous sécurité renforcée. Alors, la "criminalité revendicative" des townships, qui refusent d'accepter de vivre la misère face à l'opulence insolente, a commencé à cibler la nouvelle classe moyenne Noire. Ces gangs ont donc fait des abords des écoles et lieux publics fréquentés par la bonne société noire leur nouveau terrain de chasse. Ils se spécialisent dans les enlèvements et les braquages sanglants. C'est de ce phénomène qu'a été victime en fait la star nationale du Raggae, Lucky Dube, une figure de cette classe moyenne Noire. Il est tué par balle à Rossetenville, dans la banlieue de Johannesburg, le 18 octobre 2007, par un gang qui essayait de braquer sa voiture, alors que le chanteur était venu récupérer ses enfants à la sortie de l'école.

LES EMEUTES XENOPHOBES OU LA NOUVELLE FORME D'EXPRESSION DE LA FRUSTRATION DES LAISSES- POUR-COMPTE

Sur pression de la communauté internationale, à l'occasion de l'organisation de la coupe du monde en 2010, l'État sud-africain a été emmené à déployer des efforts sécuritaires pharaoniques pour abattre cette filière industrielle de la criminalité issue des townships. Mais puisque ces mesures s'attaquent aux effets en évitant soigneusement les causes, cette criminalité qui émane d'une profonde frustration sociale, se trouvera un nouveau moyen d'expression, en s'attaquant aux immigrés africains. Ces derniers sont accusés de disputer aux sud-africains défavorisés la proportion résiduelle des richesses nationales qui reste des 85% absorbés par les blancs et des 13% accaparées par la nouvelle élite Noire.

 

A l'exception de Julius Malema et son parti des combattants pour la liberté économique, qui ont choisi de se tailler une côte électorale en répercutant sur la scène politique les revendications des laissés-pour-compte des accords de Groote Schuur, la classe dirigeante de l'ANC simule l'incompréhension de ces émeutes xénophobes. Une mauvaise foi inqualifiable. Tout compte fait, qu'ils fassent l'autruche ou non, cette situation met Cyril Ramaphosa et l'ANC face à deux choix, tout aussi périlleux l'un comme l'autre : La redistribution des terres et richesses, comme l'a fait le Zimbabwe, au risque de subir les représailles des puissances occidentales ; ou le maintien du statut quo scellé par les accords de Groote Schurr, au péril des relations avec le Nigeria et le boycott des multinationales sud-africaines.

SOURCE : Dr BANGALI N'goran Historien, enseignant-chercheur
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